Le “tombeau” d’Adrienne

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Rue Jacob dans le 6e arrondissement de Paris, masqué par les immeubles alentours, un mystérieux petit Temple semble se blottir à l’abri des regards.
Ce pavillon d’inspiration romantique, appelé aussi “folie” ou fabrique de jardin, est peut-être édifié au XVIII-XIXe, en souvenir de l’immense tragédienne Adrienne Lecouvreur, dont la mort violente, dans une maison toute proche, a frappé les esprits !
Le petit Temple entretient depuis longtemps le souvenir d’Adrienne en arborant sur sa façade, jusqu’en 1972, les bustes de l’actrice et celui de son célèbre amant le Maréchal de Saxe, ses statues participant à l’ancrage de ce lieu dans les mémoires, en tant que “tombeau d’Adrienne”.

 La légende raconte que le maréchal de Saxe aurait fait construire ce petit temple pour y déposer les “reliques” de son amoureuse, mais on dit aussi que ce petit temple dit “de l’Amitié” a été construit un peu plus tard, peut-être et pourquoi pas, par un passionné d’Adrienne, dont la fin tragique a déchainé les passions et défrayé la chronique.
Il faut dire que l’actrice, égérie de Voltaire et première comédienne à 17 ans de la cour de Lunéville, a fait couler beaucoup d’encre !
Voici un résumé de sa fin tragique :

“Dans la nuit du 20 mars 1730, un fiacre descend la rue des Marais (actuelle rue visconti) et s’engage dans les rues pavées de Paris jusqu’au terrain vague de la rue de Bourgogne, il emporte Adrienne Lecouvreur vers sa dernière demeure.
L’abbé de Saint-Sulpice ayant refusé une digne sépulture à la plus célèbre des actrices parisiennes, sa dépouille est jetée dans de la chaux vive au milieu d’un chantier du faubourg Saint-Germain (actuelle 115 rue de Grenelle), …
L’actrice de la comédie française, née en 1692,  a fait ses premiers pas de comédienne à 14 ans, elle est l’actrice principale à 17 ans de la troupe de comédiens de la cour de Léopold de Lorraine.
Après une vie incroyable due à son immense talent, à son intelligence, à ses passions, la grande tragédienne, égérie de Voltaire adulée du public et des rois, s’éteint le matin du 20 mars 1730 dans sa maison, 16 rue des Marais (rue Visconti), après une agonie abominable de plusieurs jours, entourée de ses fidèles amis, le comte d’Argental, et Voltaire qui lui ferme les yeux.
Tous deux traumatisés par ce tragique enterrement, ils écriront de nombreux vers à ce sujet.
Dix ans après la mort d’Adrienne, le secrétaire de Maurice de Saxe, Louis de Bereauville, réside dans la maison des Dames Religieuses de la Visitation (13 et 15 rue Visconti) soit en face de la maison où est morte Adrienne, et il semble faire la lecture au maréchal dans le jardin, à l’endroit précis où sera élevé le petit temple, hasard ou coïncidence ?

Le mystère du petit temple va diviser et déchainer les passions pendant 250 ans !
Certains sont farouchement opposé à la légende du tombeau d’Adrienne alors que les anciens du quartier n’ont aucun doute !
Pour ma part, cette “folie”, créée consciemment ou non à la mémoire d’Adrienne, est devenue par la force des choses, le monument de recueillement qui manquait à la célèbre tragédienne !
Photos © Rue visconti.com : Natalie Clifford Barney devant le Temple de l’Amitié. Le Temple de l’Amitié, photographié par Atget en 1910©cliché B.E.-R.)
A visiter, l’excellent site de la rue Visconti :
http://www.ruevisconti.com/LaRueMysterieuse/TempleAmitie.html

Le temple est cité aussi par Gabriel Hanotaux, Folies d’Amour au XVIIIesiècle, 1911
(à propos de Adrienne Lecouvreur)
Les jardins de la rue des Marais virent s’épanouir et faner la fleur exquise transplantée du vieux sol gaulois. La sombre rue Visconti abrite et cache de tels souvenirs ! …

La mort de mademoiselle Lecouvreur, Voltaire

Que vois-je ? Quel objet ! Quoi ! Ces lèvres charmantes,
Quoi ! Ces yeux d’où partaient ces flammes éloquentes,
Eprouvent du trépas les livides horreurs !
Muses, Grâces, Amours, dont elle fut l’image,
O mes dieux et les siens, secourez votre ouvrage !
Que vois-je ? C’en est fait, je t’embrasse, et tu meurs !
Tu meurs ! On sait déjà cette affreuse nouvelle ;
Tous les cœurs sont émus de ma douleur mortelle.
J’entends de tous côtés les Beaux-Arts éperdus
S’écrier en pleurant : « Melpomène n’est plus ! »
Que direz-vous, race future,
Lorsque vous apprendrez la flétrissure injure
Qu’à ces Arts désolés font des hommes cruels ?
Ils privent de la sépulture
Celle qui dans la Grèce aurait eu des autels.
Quand elle était au monde, ils soupiraient pour elle ;
Je les ai vus soumis, autour d’elle empressés :
Sitôt qu’elle n’est plus, elle est donc criminelle ?
Elle a charmé le monde, et vous l’en punissez !
Non, ces bords désormais ne seront plus profanes ;
Ils contiennent ta cendre ; et ce triste tombeau,
Honoré par nos chants, consacré par tes mânes,
Est pour nous un temple nouveau !

Julia-BartetptJulia Bartet-Dans le rôle d’Adrienne Lecouvreur- Photographie-1900

One Reply to “Le “tombeau” d’Adrienne”

  1. Une bien belle femme que cette Adrienne ! Quelle frustration de ne pas savoir ce qui provoqua sa mort si soudaine….
    Quant au traitement réservé à sa dépouille, il est bien dans l’air du temps vu le mépris des comédiens ….. .

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