Déruchette dans la tempête

Après la pluie, le beau temps.

En exil à Guernesey, Victor Hugo rédige Les Travailleurs de la mer, un roman dans lequel le héros Gilliat sauve un navire en se confrontant à la “mort en personne” : une pieuvre géante issue des fonds marins qui apparaît un jour de tempête fracassante et dont la description est digne d’un monstre surgi tout droit des enfers.
En combattant ce monstre, le héros veut gagner le cœur de celle qu’il aime : Déruchette.
Mais malgré ce combat, la jeune femme lui échappe et il décide de mourir en se noyant.

Pas très gai Victor à cette époque !


Victor Hugo écrit ce roman lorsqu’il est en exil à Jersey (1852-1855) puis Guernesey (1856-1870).
Sa fille Léopoldine s’est noyée dans un tragique accident, dix ans auparavant, à l’âge de 19 ans. Le 4 septembre 1843, à Villequier (Seine-Maritime ), un tourbillon de vent a fait chavirer le canot sur lequel elle se trouvait avec son mari Charles Vacquerie, l’oncle et le neveu de celui-ci. Tous les quatre sont décédés. On raconte que Charles, après de vaines tentatives pour sauver Léopoldine coincée sous le canot par sa robe à crinoline, préféra mourir avec elle.

Déruchette est, en réalité, une représentation de Léopoldine et Gilliat est le père qui affronte la mort et ses démons et qui se noie dans son chagrin.

« Déruchette avait les plus jolies petites mains du monde et des pieds assortis aux mains, pattes de mouche, […]. Elle avait dans toute sa personne la bonté et la douceur,  ; […] Elle avait cette grâce fugitive de l’allure qui marque la plus délicate des transitions, l’adolescence, les deux crépuscules mêlés, le commencement d’une femme dans la fin d’un enfant. Un oiseau qui a la forme d’une jeune fille, quoi de plus exquis ? Figurez-vous que vous l’avez chez vous ; ce sera Déruchette. Le délicieux être ! On serait tenté de lui dire : Bonjour, mademoiselle la bergeronnette. On ne voit pas les ailes, mais on entend le gazouillement. Sa présence éclaire, son approche réchauffe; elle passe, on est content ; elle s’arrête, on est heureux ; la regarder, c’est vivre. »

Pour illustrer Déruchette, Hugo dessine sa fille Adèle, sur la plage de Guernesey. Au dessus d’elle flotte un nuage dense et noir. Il dessine également la pieuvre géante et la tempête.


Le beau temps
En 1768, Victor Hugo offre à Alice, la fille de son ami Alfred Asseline, une poupée, qui selon lui représente Déruchette et qu’il a fait vêtir comme son héroïne.
Elle porte le costume exact d’une guernesiaise élégante de l’époque où se passait son roman.

© Theriault’s The dollmasters

La petite Alice n’appelle sa poupée que la « poupée du grand homme » ; et quand on lui demande : « — Quel est le meilleur ouvrage de Victor Hugo en exil ? Elle répond sans hésiter : — C’est ma poupée ! »

Cette poupée, créée par Adélaïde Huret (inventrice de la poupée mannequin articulée (1)), vers 1863, est ensuite offerte par Alice à Jeanne Hugo, petite-fille de l’écrivain, qui la chérit plus que tout comme l’atteste l’important trousseau de Déruchette constitué au fil des ans par Victor Hugo lui-même, lequel adore ses petits-enfants.

La poupée est restée parmi les biens de Jeanne Hugo presque toute sa vie, et a ensuite été donnée à sa filleule. Restée dans la famille jusqu’en 2012, elle est vendue aux enchères sur un site américain spécialisé pour 160 000 $.

Article Pascale Fourtier-Debert mars 2023

(1) En 1850, après 6 ans de recherche, Adélaïde Calixte Huret (1813-1905) dépose un brevet pour un corps de poupée articulé, moulé, c’est çà dire enveloppé, de gutta-percha , caoutchouc naturel d’hévéa, matière moulable à chaud qui durcit en se refroidissant.  Adélaïde Calixte Huret crée la première poupée parisienne signée.

© Theriault’s The dollmasters
© Theriault’s The dollmasters

Vente Theriault’s The dollmasters
POUPÉE EN BISCUIT FRANÇAIS D’ADÉLAÏDE HURET AVEC TROUSSEAU ET VICTOR HUGO PROVENANCE
www.theriaults.com
Les costumes comprennent sept robes et toges supplémentaires de qualité couturier du début/milieu des années 1860, et une superbe robe de mode en soie de l’époque 1872 qui porte le timbre Huret à l’intérieur de la taille (selon Le livre Huret de François Theimer, les costumes Huret étiquetés de cette époque n’étaient que des commandes spéciales, suggérant que la robe avait été commandée par Victor Hugo pour la poupée de sa petite-fille). Il y a aussi deux jupons piqués et un demi-jupon estampillés Huret, et neuf autres sous-vêtements de belle facture. D’autres accessoires signés Huret comprennent un éventail pliant en os dans une boîte étiquetée Huret, une boîte à chapeau étiquetée Huret contenant deux fleurs en soie et un bonnet bleu tissé signé Huret, un bonnet en flanelle pressée. et un coffret blanc liseré vert estampillé Huret contenant un mouchoir brodé “H”. Les autres accessoires incluent : une coiffe en soie et dentelle noire, un bonnet en tresse renforcée avec des plumes vertes, deux parasols à manche en métal (un en soie noire avec des pointes ivoire, et une peinte en jaune avec une couverture en soie inhabituelle et des pointes en ivoire), de rares jumelles d’opéra bleues miniatures (un cercle en laiton manquant) avec l’image de Stanhope de Rouen et un dessin de Jeanne (symbole de la France) à la manière des illustrations d’Hugo, un sac à main en cuir avec de minuscules mèche de cheveux de bébé, snood en soie finement tissée, pantoufles à l’aiguille, gants sans doigts en tricot avec rubans de soie bleus, œuf en bois, manchon en laine d’agneau dans une boîte verte d’origine, boîte de jeu en bois avec cartes et dés, couronne en métal doré, nécessaire gainé de cuir avec poinçon en os et étui à aiguilles et minuscules ciseaux dorés, petit livre, très belle coiffe et voile en dentelle faite à la main, coussin en soie avec motif tissé “Souvenir de L’Exposition 1878”, et un service à thé en porcelaine fine dans sa boîte d’origine. Sont également inclus une première édition des mémoires de 1885, Victor Hugo Intime,d’Alfred Asseline.

© Theriault’s The dollmasters
© Theriault’s The dollmasters

One Reply to “Déruchette dans la tempête”

  1. merci pour cette petite histoire dans la grande histoire! Très touchant.

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