C’est l’histoire de Marguerite d’Écosse (1424-1445), éphémère reine de France, férue de poésie et qui, selon la légende, aurait embrassé le poète Alain Chartier sur la bouche alors qu’il était endormi.
Une version de La Belle au Bois Dormant à l’envers, où les rôles auraient été redistribués.
«La reine baisa cette bouche qui disait tant de jolies choses » (Diderot)
Les peintres du XIXe siècle s’emparent de cette histoire “si romantique” et Marguerite devint la “dauphine mélancolique”.
En réalité, cette histoire qui “n’est pas tout à fait la réalité” est fortement inspirée de la vie de la princesse d’Écosse.
Marguerite d’Écosse, dite aussi Marguerite Stuart, née à Perth le 25 décembre 1424 et morte à Châlons-en-Champagne le 16 août 1445, est la fille aînée de Jacques I Stuart, roi d’Écosse.
Elle devient dauphine de France par son mariage avec le futur Louis XI.
Promise au dauphin à 4 ans, le mariage n’est célébré qu’en 1436 au château de Tours, les époux ont respectivement 12 et 14 ans.
Très belle et cultivée, Marguerite adore la vie de cour, et s’entoure de poètes et poétesses, dont Jeanne Filleul, Louise de Beauchastel…, elle-même compose des rondeaux.
Elle se passionne pour les écrits du poète, diplomate, orateur et écrivain français Alain Chartier. De cette passion naît sans doute la légende du baiser, car Alain Chartier est décédé en 1430, et il est peu probable qu’elle l’ait connu. (D’autre part , Alain Chartier aurait été envoyé en Écosse en 1427 pour y négocier son mariage avec le jeune dauphin alors âgé de cinq ans.)
Atteinte de tuberculose, Marguerite décède à 20 ans, assez mystérieusement. Son mari, jaloux, l’accusait de le tromper avec des poètes.
Selon la tradition, ses derniers mots auraient été : « Fi de la vie en ce monde, ne m’en parlez plus. »
Le vœu de Marguerite d’Écosse d’être enterrée dans l’abbaye Saint-Laon de Thouars est réalisé bien des années plus tard, en 1479. Récemment, lors de la restauration de la chapelle funéraire, les restes d’une jeune femme ont été découverts dans le caveau.
Portrait (d’après une peinture disparue) à la sanguine sur pierre noire de Marguerite d’Écosse (1424-1445), Recueil d’Arras, folio 8, bibliothèque municipale d’Arras, XVIe siècle.
Alain Chartier a fait l’admiration de son siècle. On disait de lui qu’il n’y avait que sa laideur de comparable à son esprit : ce qui n’empêcha pas (selon la légende) Marguerite d’Ecosse, alors dauphine, passant par une salle où elle trouva Alain endormi, de se rapprocher et de le baiser. Comme on s’étonnait de voir accorder cette faveur à un homme ainsi posé : « Je n’ai pas baisé l’homme, dit-elle, mais la précieuse bouche de laquelle sont issues et sortis tant de bons mots et vertueuses paroles. »

Illustration : Alain Chartier et Marguerite d’Écosse, Pierre-Charles Comte, 1858.
Poème d’Alain Chartier :
“Tout autour, oiseaux voletoient,
Et si très doulcement chantoient,
Qu’il n’est cœur qui n’en fut joyeux :
Et en chantant, en l’air montoient,
A lestrivée à qui mieulx mieulx.
Le temps n’estoit mie nueux.
De bleu estoient vestus les cieux,
Et le beau soleil cler luisoit.
Violettes croissoient par lieux,
Et tout faiseoit ses devoirs tieux
Comme nature le duisoit.
Oiseaux en buissons s’assembloient :
Lun chantoit, les autres doubloient
Leurs gorgettes, qui verboyoient
Le chant que nature a appris,
Et puis l’un de l’autre sembloient,
Et point ne s’entre-rassembloient :
Tant en y eu, que ilz sembloient,
Fors à estre en nombre compris.
Les arbres regardoient fleurir,
Et lièvres et lapins courir.
Du printemps tout s’esjouissoit.
Là semblait amour seignourir.
Nul ny peut vieillir, ne mourir,
Ce me semble, tant qu’il y soit.
Des herbes un flair doux issoit,
Que lair sery adoucissoit ;
Et en bruyant par la yalée,
Un petit ruisselet passoit,
Qui les pays amoëlissoit
Dont l’onde n’estoit pas salée.”
Etc.
Chartier Et Marguerite d’Ecosse, gravure d’Après Wagrez, XIXe s.