Narcisse est le fils de la nymphe Liriopé et du dieu fleuve Céphise.
D’une grande beauté mais insensible à l’amour, Narcisse éconduit tous ses prétendants hommes et femmes, allant jusqu’à envoyer à l’un d’entre eux, Ameinias, une épée pour se tuer.
La nymphe Echo, également éconduite, en appelle au ciel.
Elle est entendue, et un jour, alors que le jeune dieu s’abreuve à une source après une rude journée de chasse, il s’éprend de son propre reflet qu’il voit dans l’eau.
Il reste alors de longs jours à se contempler et à désespérer de ne jamais pouvoir rattraper sa propre image et finit par mourir de sa passion pour lui-même.
À l’endroit où l’on retrouve son corps, on découvre des fleurs blanches qui portent désormais son nom, les narcisses.
X. Narcisse amoureux de lui-même.
(extrait, Les Métamorphoses d’Ovide, traduites en vers)
Un vallon frais recèle une source argentée,
Inconnue aux troupeaux, des bergers respectée.
L’écorce des vieux troncs, la plume des oiseaux,
Jamais n’ont altéré le miroir de ses eaux;
Et sur ses bords charmans, plantés d’arbres sans nombre,
Son cours nourrit les fleurs, et la verdure, et l’ombre.
Narcisse fatigué vint en ce beau séjour
Chercher le frais de l’ombre, et fuir les feux du jour ;
Mais en voulant calmer la soif qui le dévore,
Il sent naître une soif plus dévorante encore.
Son visage dans l’onde à ses yeux répété,
Le rend lui-même épris de sa propre beauté.
Narcisse prête un corps à l’image qu’il aime,
Sans voir que cette image est l’ombre de lui-même ;
Et tel qu’une statue, immobile et penché,
Sur ses propres regards son regard attaché
Contemple, dans l’azur mouvant sous sa paupière,
De deux astres vivans la touchante lumière,
Et ses cheveux pareils aux cheveux d’Apollon,
Et sa joue où commence à poindre un doux coton.
L’albâtre de son cou, son teint où se marie
De la rose et du lys la nuance fleurie.
Narcisse en même tems admire, est admiré :
Narcisse en même tems desire, est désiré.
Combien de fois veut-il, sous cette onde trompeuse,
Imprimer sur sa bouche une bouche amoureuse !
Combien de fois ses bras vers son ombre élancés
Se plongent dans les flots vainement embrassés !
Il ne sait ce qu’il voit ; mais ce qu’il voit l’enflamme ;
Et l’erreur de ses yeux a passé dans son âme.
Insensé ! quel fantôme ici te fait la loi ?
Tu veux ce qui n’est point, ce qui n’a rien de soi :
L’image que tu vois n’est que ton ombre vaine
Elle fuit, si tu fuis ; ton retour la ramène.
Prête à se retirer avec toi de ces lieux,
Si tu peux toutefois en retirer tes yeux.
Rien ne peut l’arracher à cette oncle funeste :
Il dépérit, il meurt; et cependant il reste.
Étendu sur la mousse, il contemple ses traits,
Les yeux plein s du poison qu’il savoure à longs traits.
Il soulève sa tête, et d’une voix éteinte
Aux forêts d’alentour il adresse sa plainte.
Bois antiques, dit-il, asiles ténébreux,
Parlez, fut-il jamais amant plus malheureux ?
Des soupirs des bergers secrets dépositaires ;
Oui, j’en prends à témoins vos ombres solitaires :
Des siècles, sans vieillir, vous avez vu le cours;
Avez-vous jamais vu de si cruels amours?
Je vois ce qui me plaît ; mais, hélas ! trop à plaindre,
Je l’aime, je le vois, et je ne puis l’atteindre.
Ce qui met un obstacle à mes désirs trompés,
Ce ne sont ni des mers, ni des monts escarpés,
Ni les verrous d’airain d’une porte barbare :
Etrange destinée ! un peu d’eau nous sépare.
Que dis-je ? à mon amour loin de se refuser,
Sur l’onde chaque fois que j’imprime un baiser,
Chaque fois de la mienne il approche sa bouche.
Combien s’en faut-il peu qu’enfin je ne le touche !
Que peu de chose nuit au bonheur des amans !
O toi ! qui que tu sois, n’abuse plus mes sens !
Parais, sors de cette onde ingrate et mensongère.
Ma figure, mon âge ont-ils de quoi déplaire ?
Des nymphes ont aimé l’objet de tes dédains.
Que dis-je? c’est à tort que de Loi je me plains.
Tu t’avances vers moi du fond de ta demeure ;
Tu me ris, si je ris; tu pleures, si je pleure.
Quand je te tends les bras, tu me les tends aussi;
Et si j’en juge bien , quand je te parle ici,
A voir les mouvemens de ta bouche vermeille,
Tu me réponds des mots perdus pour mon oreille.
Où vais-je m’égarer ? Ah ! trop tard je le voi,
Je suis, je suis celui que je retrouve en toi.
Je suis, pour mon supplice, amoureux de moi-même.
Quel doit être le vœu de mon délire extrême ?
Qui suis-je ? que ferai-je? et que dois-je espérer ?
Si j’implore, est-ce moi que je dois implorer?
Que demander ? je suis le bien que je demande :
Pauvre de trop avoir, ma peine en est plus grande.
Dure fatalité qui me tient sous sa loi !
Je ne puis être heureux qu’en cessant d’être moi !
Quel vœu pour un amant ! faut-il que ce que j’aime
Ne se puisse à mon gré séparer de moi-même?
La douleur a séché la fleur de mes beaux ans :
Adieu, beaux jours ! adieu ! je meurs dans mon printems :
Mon mal est sans remède, et la mort m’en délivre :
Celui que je chéris ne peut-il me survivre ?
Mais il vit en moi seul, et je le fais mourir.
Il dit, et dans l’erreur qu’il se plaît à nourrir,
il revient à l’objet que l’onde lui retrace :
Il pleure, l’eau se trouble, et l’image s’efface.
Où fuis-tu, dit Narcisse ? ah ! demeure un moment :
Demeure ; prends pitié d’un malheureux amant.
Hélas ! de t’embrasser si je n’ai pas la joie,
Du moins, cruel, du moins permets que je te voie.

Bloemaert, Cornelis II (le Jeune) , Graveur
Van Diepenbeeck, Abraham , Auteur du modèle
En 1655
XI. Narcisse en fleur,
A ces mots, de sa robe il déchire les plis,
Et de son sein qu’il frappe il empourpre les lys.
Telle aux feux du soleil, à demi colorée,
Rougit, en mûrissant, la grappe diaprée :
Tel encor de l’api le tissu délicat
À l’émail le plus blanc mélange l’incarnat.
Aussi-tôt que dans l’onde il eut vu son ouvrage 2
Il n’en put soutenir la douloureuse image.
Comme se fond la cire à l’aspect d’un brasier,
O u comme aux premiers feux d’un soleil printanier,
S’exhale des frimas la vapeur matinale,
Ce fol amant qui meurt d’une fièvre fatale,
Brûlé d’un feu secret, se consume et s’éteint.
Il a vu se faner les roses de son teint :
Il perd sa force, il perd sa beauté trop aimée,
Sa beauté dont Écho fut jadis si charmée.
Témoin de sa douleur, la nymphe en eut pitié;
Et malgré son refus, qui n’est pas oublié,
Répétant chaque fois sa plainte entrecoupée,
Chaque fois qu’il se frappe, elle en gémit frappée.
Vers son image encore il tourne un œil mourant.
En vain je t’ai chéri, dit-il en soupirant;
En vain je t’ai chéri, répète son amante.
L’herbe molle a reçu sa tête languissante.
Adieu, dit-il. Echo lui rendit ses adieux.
Il succombe, et la mort a fermé ses beaux yeux.
Sa passion le suit sur le sombre rivage,
Et dans le Styx encore il cherche son image,
Sur ses restes chéris, les Naïades ses sœurs
Déposent leurs cheveux arrosés de leurs pleurs.
Comme elles dans les bois les Dryades gémirent,
Et par la voix d’Echo les antres le plaignirent.
On prépare un bûcher , des urnes, des flambeaux;
On ne voit plus Narcisse : on cherche, et près des eaux
On trouve une fleur d’or, à la tige inclinée,
Et de feuilles d’albâtre en cercle couronnée.
Les Métamorphoses d’Ovide, traduites en vers, avec des remarques et des notes, par M. Desaintange, nouvelle édition, revue, corrigée, le texte latin en regard et ornée de 141 estampes, gravées… sur les dessins des meileurs peintres… Moreau le jeune et autres…. Tome 1
Auteur : Ovide (0043 av. J.-C.-0017). Auteur du texte
Éditeur : Desray (Paris)
Date d’édition : 1808