Mme de Graffigny est invitée à Demange-aux-Eaux chez Mme de Stainville. En plus de supporter son hôtesse, très désagréable selon elle, elle ressent une terrible rage de dents et raconte avec beaucoup de détails cet épisode douloureux dans sa correspondance adressée à son ami François Devaux, dit Panpan.
Le lundi matin [27 octobre 1738]
Bonjour, mon ami, je ne saurai toucher mon ecritoire sans que tu t’en apercoive. Il faut toujours que je comence par toi. En te quittant hier au soir j’eu une rage qui me dura deux heures. Peste! quelle douleur que la douleur de dent! Je ne savois que faire. J’emplis ma bouche d’eau de lavande, qui m’a brulé le palais et la langue de façon qu’il en tombe des peau. Ma nuit a été assés tranquille, mais je sors d’un accès de douleur comme celui d’hier a cause que j’ai pris mon caffée. Il me faut donc devenir ange, car je ne soufre ny chaut ny froit. J’ai la joue enflée ce matin. J’espere que la fluction est dans son fort et qu’elle diminuera.
Mes dents vont mieux depuis la sueur et je n’ai pas mal a la tete. Dubois a lu tout le jour un conte de fée que nous avons lu ensemble, c’est Le Prince Titi. Le tems ou elle ne lisoit pas, j’etois a peu près comme les bêtes, sans penser. Je suis bien mieux ce soir. Je crois que le nerf qui me fait mal dans ma dent repond a tous les autres, car j’ai eu ces vilaines agitations que tu me connois, et mes saisissemens. Enfin, j’ai eu une vilaine journée, mais je suis si bien ce soir que j’espere qu’il n’y paroitra pas demain. Je cachete ma letre ce soir parce qu’on envoye demain chercher mon paquet. L’essence de canelle ou de gerofle arivera tout a propos. Bon soir, mon Penpichon, je te voudrois bien voir la, quel tan il soit, car il est minuit. Bonsoir, j’espere que je vais dormir.
Le mercredi 28 [octobre 1738], a six heures du soir
Ma lettre a eté imterompue par une bonne rage de dent. L’essence de gerofle a fait son effet, je reprends. Autre interuption, c’est mon hotesse qui a peur apparament que l’on ne se scandalise de ce qu’elle reste avec son hôte. Elle me l’a emmené. J’ai fait une si vilaine mine pendant une heure et demie qu’ils ont été ici qu’à la fin elle a bien vu que je souffrois. Ils vienent de sortir, mais j’ai encore bien mal au dent et le souper sonne. Bonsoir, mon ami, je meurs d’inquietude sur tous vous autres. Il n’y a de bonheur dans ce monde que de n’etre attachée a rien, moienant quoi je n’en espere point.
Le lundi soir [1 décembre 1738]
Ne sois pas en peine de ma dent, mon ami, elle est gatée. C’est une besogne toisée. J’ai encore de l’essence pour trois ans au moins. Je ne m’en sers qu’a bon esseyan, car cela les gate, je crois, encore plus. Si Mr La Tour [dentiste de Lunéville] l’avoit voulu me la plomber quand je lui dis, je ne jurerois pas tous les jours apres lui. Ma fluction va toujours, mais elle est traitable et ne m’enpeche que de dormir, ainci je la compte pour rien.
