Radio Graffigny : « Cela est Lorrain. »

En 1738, Mme de Graffigny passe deux longs mois comme dame de compagnie chez Mme de Stainville (Choiseul), mère du futur ministre de Louis XV, dans son château à Demange-aux-Eaux.

Calée au fond de son fauteuil, elle espionne la châtelaine (surnommée la Taupe) et son amant, le marquis de Courtanvaux (surnommée le Beau), lesquels sont en train de médire à qui mieux-mieux sur Mme du Châtelet, leur voisine, qui vit avec Voltaire dans son château de Cirey, à 11 lieues de Demange :
« Le Beau. – Elle n’y fait que des folies, je crois.
La Taupe. – Des folies sans nombre, pitoiable, miserable ; ah fi ! il valait bien mieu demeurer a Paris.»
Le Beau. – Il n’est jamais tombé dans la tete qu’a elle d’etre tous les jours de sa vie vetuë a la romaine et de jouer la comedie toutes les nuits. »
Et puis, s’adressant a Mme de Graffigny :
« Le Beau. – Vous voiez, Mde, que nous parlons de Md. Du Chatelet.
Mme de Graffigny. – Non, Mr, je ne le voiois pas, car Md. Du Chatelet ne fait ni l’un ny l’autre.
Le Beau. – Oh, pour cela, vous ne sauriez nier la vie qu’elle fait, car je la sais, et je vais vous la prouver.
Elle passe six heures a sa toilette, c’est-a-dire, jusqu’a neuf heure du soir. On s’atant a souper. Point. On vous fait aporter de la limonade, on n’en boit guere soi-rnerne, on a point diné, la soif n’est pas violente. On atent ce souper qui n’arive point. Enfin, a onze heure, le maitre d’hotel vient demander si l’on doit servir. On dit : ”Pas encore, il faut jouer la comedie.”
On la comence. A une heure on croit qu’on soupera enfin. Point. On fait l’esprit, on se nouri de sublime, et a cinq heure du matin on vous donne a souper, et l’on ne vous laisse aller au lit qu’a huit heure, et cela n’est-il pas pitoiable ? Ces gens-la ne sont du gout de personne. Aussi passait-elle pour la plus ennuieuse personne du monde a Paris.
Mme de Graffigny. – Cependant elle a bien de l’esprit.
Le Beau. – Oh oui ! de l’esprit, mais ce n’est point du tout de l’esprit comme les autres. »