Le véritable ennemi de Voltaire fut Jean-Baptiste Rousseau, et la raison en est une sombre histoire de mœurs…
Selon plusieurs auteurs, vers 1718, Jean-Baptiste Rousseau, 48/50 ans, professeur de latin de Mlle Emilie de Breteuil, était « devenu trop agréable » à son élève de 10/12 ans, car déjà au XVIIIe s., on retournait la faute sur la victime.
Cette sombre histoire de mœurs, étouffée déjà à l’époque, serait une des explications de la détestation de Voltaire pour le poète Jean-Baptiste Rousseau (1670-1741) (à ne pas confondre avec Jean-Jacques).
Gabriel Feydel, journaliste français, raconte dans une lettre comment le littérateur J.-B. Rousseau, placé près de Mlle Emilie de Breteuil (10/12 ans) pour lui apprendre le latin et qui « lui était paru que trop aimable » (traduction : « l’avait violée »), fut congédié par le père de la fillette, M. le baron de Breteuil, en toute discrétion.
Dans Voltaire à Cirey, l’écrivain Desnoiresterres, nie ce crime avec une grande désinvolture en écrivant :
« Le journaliste G. Feydel attribue à ce premier sentiment vite effacé et dont on ne se souvenait plus que pour en rougir, une persécution qui de la part de Voltaire fut incessante. Toute cette lettre est d’une ignorance des faits et des dates qu’on a peine à comprendre.
En supposant que mademoiselle de Breteuil eût alors quatorze ans, et c’est bien le moins qu’on puisse admettre, l’auteur du Flatteur en avait cinquante. Ces chiffres rapprochés en disent assez sur l’absurdité de cette fable. »
Voici la fameuse lettre du journaliste Gabriel Feydel :
« Oui, charmante Dorine, ce fut l’étourderie d’une femme aussi digne d’estime par ses excellentes qualités, que vous l’êtes par les vôtres, qui attira sur la longue vieillesse de Jean-Baptiste Rousseau, une persécution infamante de la part de Voltaire : et Voltaire, en cela, crut toujours n’être que juste.
Il calomniait, et croyait médire. Beaucoup d’honnêtes gens reçurent la calomnie comme vérité ; ce qui n’est n’est que trop commun. J’ignore quelle serait l’opinion des siècles à venir, sur cette particularité affligeante de notre histoire littéraire.
A tout événement, je vais vous faire connaître ce que j’en sais. Ne voulant pas trop fatiguer votre attention ; je vous prie de supposer avec moi, que c’est de vous que je vais parler.
Vous êtes née, Dorine, d’une famille distinguée, opulente : vos parents occupent de grands emplois publics. Vous demandez un maître de latin, selon une coutume qui durait encore au Siècle des Sévigné et des Lafayette.
Votre famille voit avec plaisir que l’étude à laquelle vous désirez vous livrer, comme s’y livrent secrètement plusieurs de vos pareilles, vous mettra en état de régir une abbaye, en cas de besoin.
Un maître de rudiments vous est choisi ; ses leçons réussissent. Mais votre père est averti que le précepteur qu’il vous a donné vous est devenu trop agréable. Il lui cherche une place avantageuse quelque part, et le congédie sans bruit.
Les années s’écoulent ; vous êtes une dame de la cour. A la ville et à la campagne, Voltaire que vous aimez, ne vous quitte pas plus que votre ombre, et devient physicien, parce que vous aimez la physique.
Une affaire de famille vous attire en pays étranger : il vous y accompagne. Votre ancien précepteur, banni juridiquement […], s’est abrité dans la ville où vous attire votre procès.
Nous sommes trois à Bruxelles, vous dit Voltaire : ne nous y quittons point. […] Travaillons de tout notre pouvoir à faire cesser un exil qui ne déshonore que les juges […].
Cette proposition, Dorine, vous embarrasse. Vous vous y refuser : Voltaire insiste ; vous persistez dans votre refus. Voltaire voit augmenter votre trouble : il paraît en pénétrer la cause : il s’échaufffe comme un écolier, s’emporte comme un jaloux ; vous consentirez à voir l’infortuné proscrit, ou à dire nettement ce qui vous en empêche. […]
Désormais en toute occasion, Voltaire parlera et écrira du sublime auteur comme d’un monstre indigne de toute pitié. Et vous serez le premier instrument de cette effroyable persécution. […] »
Un cahier d’histoire littéraire, G. Feydel (Paris, Delaunay , 1818, p. 25 à 28)
Voltaire à Cirey, Desnoiresterres