Ma charmante Champenoise

Le château de CIrey, avec à sa gauche, l’aile de Voltaire.

En 1734, Emilie du Chastelet et son amant M. de Voltaire décident de s’exiler dans le château familial des Du Châtelet, aux confins de la Champagne, à Cirey-le-Château.

Voltaire, y vivant seul dans un premier temps, y orchestre des travaux de grande envergure, se faisant construire une aile entière dans le goût du XVIIIe siècle.
Ce bâtiment de plein pied comprenant trois pièces lui servira de logis et sauvera l’honneur de la famille Du Chastelet.
Désormais, il attend impatiemment sa dulcinée qui a promis de le rejoindre bien vite, mais celle-ci tarde à quitter Paris et ses amis pour rejoindre ce “désert culturel”.
On a promis à Emilie une charmante dame de compagnie, Mme de Chambonin. Cette femme cultivée habite à Brousseval près de Wassy et Voltaire tente de la convaincre de venir les rejoindre à Cirey en lui racontant avec force détails leur emménagement, en deux mots : il lui fait sa cour.
Il est même quelquefois très entreprenant… lui proposant un lit pour trois personnes ou encore de lui bâtir un Chambonin !

Lettre 1
De Cirey.

Je ne me porte pas trop bien, Madame ; mais j’irai vous faire ma cour demain, dans quelque état où je sois. Si je me porte bien ; je serai extrêmement gai ; si je suis malade, votre conversation me guérira bien vite. Allez vous promener, Madame, avec votre très humble Servante. Comptez que je vous suis respectueusement attaché pour la vie.
C’est l’Architecte d’Emilie,
Qui ce petit mot vous écrit ;
Je me sers de sa plume & non de son génie :
Mais Je vous aime, aimable Amie ,
Ce seul mot vaut beaucoup d’esprit.
Voltaire

Détail d’un tableau représentant le château de Cirey vers 1735.
Musée Diderot, Langres

Lettre 2
De Cirey.
Ce n’est pas seulement moi qui vous écris, mon aimable Chambonin, c’est Madame de Cirey dont j’ai l’honneur d’être le très humble Secrétaire. Cette Dame de Cirey est très fâchée du peu de foi que vous avez. Elle est occupée tout le jour à faire carder les laines de vos matelats, & à vous faire placer de grands carreaux de vitres à travers desquels vous passeriez toute brandie, malgré l’embonpoint que je vous ai toujours reproché. Préparez-vous à vous laisser enlever dans deux ou trois jours, & soyez inexorable avec Monsieur de Chambonin. Retenez bien que Madame de Cirey vous aime de tout son coeur ; autant en fait Voltaire.

Détail d’un tableau représentant le château de Cirey vers 1735.
Musée Diderot, Langres

Lettre 3
De Cirey,

Ma charmante Champenoise, il y a un Lutin qui nous répare. Je suis persuadé que vous serez bien fâchée de ne point voir arriver cette personne adorable que vous aimez tant, & que je devais avoir l’honneur d’accompagner. Consolez-vous ; n y comptez plus. Elle est comme l’Amour, qui ne vient pas quand on veut. D’ailleurs , elle n’aurait pu vous enlever pour vous emmener a Cirey, parce qu’autre chose est d’avoir de la laine cardée, & autre chose est d’avoir des tours de lit. Cirey n’est point encore en état de recevoir personne. Tout ce qui m’étonne c’est que la Dame du lieu puisse l’habiter. Elle y a été jusqu’à présent, par le goût de bâtir ; elle y reste aujourd’hui par nécessité. Elle souffre beaucoup des dents, & encore plus de votre absence. C’est un sentiment que je partage avec elle. Vous savez combien elle vous aime, & combien je vous suis dévoué. Si jetais avec toute autre qu’avec elle, je vous prierais de me plaindre. Adieu ; aimez-moi un peu, vous me l’avez promis, & j’y compte ; car je vous aime de tout mon cœur.

Détail d’un tableau représentant le château de Cirey vers 1735.
Musée Diderot, Langres

Lettre 4
De Cirey.
Madame du Chastelet est ici de retour de Paris d’hier au soir. Elle est venue dans le moment que je recevais une Lettre d’elle, par laquelle elle me mandait qu’elle ne viendrait pas si-tôt.. Elle est entourée de deux cens balots qui ont débarqué ici le même iour qu’elle. On a des lits sans rideaux, des chambres sans fenêtres, des cabinets de la Chine & point de fauteuils , des phaétons charmans & point de chevaux qui puissent les mener. Madame du Chastelet, au milieu de tout ce désordre, rit & est charmante. Elle est arrivée dans une espèce de tombereau à deux, secouée & meurtrie, sans avoir dormi, mais se portant fort bien. Elle me charge de vous faire mille complimens de sa part. Nous faisons rapiéceter de vieilles tapisseries. Nous cherchons des rideaux, nous faisons faire des portes, le tout pour vous recevoir. Je vous jure, raillerie à part, que vous y serez très-commodément. Adieu, Madame, je vous suis tendrement & respectueusement attaché pour la vie.

Détail d’un tableau représentant le château de Cirey vers 1735.
Musée Diderot, Langres
Détail d’un tableau représentant le château de Cirey vers 1735, à droite Emilie & Voltaire.
Musée Diderot, Langres

Lettre 5
De Cirey,

Mon aimable Champenoise, pourquoi tout ce qui est à Cirey n’est-il pas à la Neufville ou chez vous ? Ou pourquoi tout chez-vous & la Neufville n’est-il pas à Cirey ? Faut-il que la malheureuse nécessité d’avoir des rideaux de lit & des vitres, sépare des personnes si aimables ? Il me semble que le plaisir de vivre avec Madame du Chastelet redoublerait en le partageant avec vous. On ne regrette personne avec elle, & ton n’a besoin d’aucune autre Société quand on jouit de la votre : mais réunir tout cela ensemble, ce serait une vie charmante. Elle compte bien passer son tems avec vous & avec Madame de la Neufville ; car il n’est pas permis que trois personnes de si bonne compagnie demeurent chacune chez elles, Quand vous serez toutes trois ensemble, la Champagne sera le Paradis Terrestre.

Lettre 6
De Cirey

Ne soyez donc plus malade, Madame, ne soyez point grosse, & daignez me tenir compte de l’effort que je fais en n’allant pas sitôt vous voir, Voyez comme je préfere à mon plaisîr, des engagemens qui me sont devenus des devoirs ! J’attends ici tous les jours des ouvriers. Je fuis moi-même le Piqueur de ceux qui travaillent. J’écris leurs noms chaque jour dans un grand livre de comptes ; jusqu’à ce que j’aie quelqu’un qui me foulage, je ne peux quitter. Plaignez-moi d’avoir entrepris un ou- vrage qui m’arrache au plaisir de vous faire ma cour. Vous êtes très-bien avec Madame du Chastelet, mais vous y serez encore mieux quand elle viendra dans son Château. Vous savez bien que plus on vous voit, plus on vous
aime. C’est une vérité que vous m’avez fait connaître par mon expérience. Permettez-moi de vous prier d’entretenir la bonne volonté qu’on a pour moi à la Neufville. A l’égard de celle de ma femme, je m’en remets à la Providence & à ma patience de C.. u.

Détail d’un tableau représentant le château de Cirey vers 1735.
Musée Diderot, Langres

Lettre 7
De Cirey.

Que mon aimable Champenoise entend-elle, quand elle me dit qu’elle n’est pas si Champenoise que je le crois ? Entend-elle qu’elle n’a pas l’esprit aussi vrai & aussi naturel, & le cœur aussi bon & les mœurs aussi aimables que je le lui dis tous les jours ? En ce cas, ma Champenoise se trompe fort. Qu’elle vienne donc expliquer au plutôt ce qu’elle entend ! Qu’elle vienne chez la Maîtresse la plus aimable du plus délabré Château qu’il y ait au monde, ou elle est attendue avec impatience, & où l’on ne peut être tout-à-fait bien sans elle! Il y a quelque temps que Madame du Chastelet vou lait vous aller enlever au Chambonin. Tenez-lui compte de sa bonne volonté, & n’oubliez ; pas l’empressement que j’ai de vous faire ma cour.

Emilie et Voltaire

Lettre 8
De Cirey.

Faisons ici trois tentes. Que Madame de Chambonin vienne dans le dépénaillement de Cirey , & que Voltaire ait le bonheur de vous y voir. Est-il possible qu’il faille absolument trois lits, parce qu’on est trois personnes ? Madame du Chastelet compte allée dans trois ; jours à la Neufville ; mais savez-vous bien ce que vous devriez faire ? Il serait charmant que vous vinssiez incessamment dîner à Cirey. Vous vous en retourneriez le même jour si vous vouliez, & même on vous prêterait des chevaux pour courir plus vîte. Vous verriez cette Madame du Chastelet que vous aimez ; Vous verriez son établissement. Nous passerions sept ou huit heures ensemble ; & puis, dès qu’il y aurait des rideaux dans la maison pour le coup on irait vous enlever. Elle a, entre autres, un petit phaéton léger comme une plume, trainé par des chevaux gros comme des éléphans. C’est ici le pays des Contrastes ; mais je suis réuni avec la Maitresse de la maison dans l’attachement que j’aurai toujours pour vous.

Lettre 9
De Cirey.

Vos laines sont arrivées & je vous les envoie, Madame nous travaillons tous deux. Vous êtes Tapissiere & je suis Maçon. Que ne puis-je travailler avec vous ! Il est bien mal à moi de rester ici & de résister au plaisir de vous faire ma cour. C’est une vertu qui coûte bien cher à mon coeur ; mais il n’y a de vertu qu’à se vaincre.
Autrefois, pour payer le zèle
De Beaucis & de Philémon ,
On disait que de leur maison
Jupiter fit une Chapelle :
Si j’avais son pouvoir divin,
Je n’imiterais pas ses augustes sottises.
Je . . . . . . . . .
Pour vous bâtir un Chambonin.
En vous remerciant de vos magnifiques poires de beurré, & de toutes les poulardes que nous mangeons. Mais tout cela ne vaudra rien si l’on n’a pas le plaisir de les manger avec vous.

Encadrement sculpté de la porte principale de l’aile de Voltaire à Cirey
Autre vue du chateau de Cirey vers 1735, musée Diderot, Langres

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