Le château d’Étreval [Dernier épisode]


“Le sang coulait dans le Brénon”

Le 1er juillet 1841, la foule se presse en masse au petit matin, à Étreval, petite bourgade du Saintois.
Le château de la famille De Thomassin est ouvert au public en raison de la vente de tout son mobilier.

On dit que Nicolas Charles-Antoine de Thomassin, ancien conseiller et auditeur à la Chambre des comptes de Lorraine, aurait perdu son château au jeu.
Mais en réalité, son fils Charles-François-Marie de Thomassin, surnommé Lolot, ayant émigré à la Révolution, la demeure a été confisquée par l’État en 1800.

Il semble cependant que “Lolot” ait eu l’autorisation de réintégrer son château, puisqu’il y décède le 13 juin 1841. Le 1er juillet 1841, soit 15 jours suivant son décès, le notaire Jacquot, de Vézelise, effectue la vente de son mobilier, à la demande des sept héritiers, parents éloignés du défunt.

Des curieux s’amassent dans la cour et devant la porte centrale du manoir, lequel a pourtant perdu de sa superbe. La belle façade Renaissance égrainent désormais des colonnes de guingois et des gargouilles noires et menaçantes qui semblent annoncer un danger.

La femme du tailleur de pierre de Vezelise, Marguerite de Falque, a réussi à se faufiler parmi une centaine de personnes dans le hall d’entrée du château.
Les escaliers menant au premier étage sont noirs de monde. Un brouhaha résonne entre les murs de l’antique demeure qui frémit sur ses bases.
Le « must » de la vente se passe dans les chambres du premier étage et dans la grande salle féodale.
On se presse, on se pousse, on se bouscule pour y apercevoir, peut-être, des anciens vestiges du mobilier de François de Tavagny, l’ancien bailli de Vezelise, grand écuyer du duc Antoine, ou encore les meubles du prince de Craon.
Les châteaux ne recèlent-ils pas des trésors ?

Mais, au moment de passer de la grande salle féodale à une chambre du premier étage, une poutre soutenant le plancher se brise, et le sol s’effondre ensevelissant sous les décombres les centaines de personne se trouvant au dessus et en dessous.

Pendant deux jours, on extrait des décombres une soixantaine de blessés graves ainsi que plusieurs morts, dont Marguerite de Falque, la femme du tailleur de pierre.

L’histoire du désastre d’Estreval resta à jamais gravé dans les mémoires.
Histoire de l’origine du château d’Etreval

Voici le récit écrit par le Chanoine Martin, curé de Vézelise (1925-1932), grâce aux témoignages recueillis par celui-ci auprès des anciens du village.

« Mais au moment de passer à la vente des meubles d’une chambre, et quand déjà, sur les pas du notaire, plus d’une centaine de personnes s’étaient engouffrées dans la pièce, une poutre qui soutenait, par le milieu, le plancher, se brisa tout à coup sous la charge, et ensevelit dans les décombres la foule entassée immédiatement au-dessous… Le plancher crevé forma une espèce d’entonnoir dans lequel étaient pêle-mêle plus de cent cinquante personnes, marchant les unes sur les autres. (…)
Des cris s’élevèrent de toutes parts. Au dehors, les gens, glacés d’épouvante, n’osèrent, sur le moment, pénétrer dans la maison. Cependant, les premiers secours s’organisaient. On se mit en demeure de retirer des décombres les blessés. Une soixantaine, dont quatre devaient succomber peu après : la jeune femme Thirion, épouse d’un tailleur de pierre de Vézelise ; une mère de sept enfants et un homme de Thorey ; une femme d’Eulmont, « dont les poumons étaient remontés dans la gorge ». Nous n’avons pu savoir si d’autres étaient morts des suites de leurs blessures. Le jeune clerc du notaire, un fils Godot, de Vézelise — dont le père eut une jambe brisée — avait été trouvé dans un piteux état, couché mourant sur la table devant laquelle il écrivait, une poutre pesant sur son dos. Il semble bien qu’il en soit réchappé. Quand, dans mon enfance, les vieux nous racontaient l’accident, ils ne tarissaient pas sur l’indescriptible panique qui s’était emparée de tout Vézelise. Ils ajoutaient qu’on ne pouvait s’en faire une idée (témoignage d’une octogénaire en 1939).

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