« La vertu & l’honnêteté peuvent s’allier dans l’un comme dans l’autre sexe »


“Premiers propos” défendant la cause des femmes artistes de la part d‘Étienne Falconet. Pour illustrer sa pensée, le sculpteur vante le talent et le génie de son élève Marie-Anne Collot.


Sa réflexion part d’une phrase du philosophe misogyne Rousseau que certains portent aux nues, et que personnellement, je déteste…
Falconet : « M. Rousseau dit, dans le cinquième livre de son « Émile », que les femmes à grands talents n’en imposent jamais qu’aux sots ; qu’on sait toujours quel est l’artiste ou l’ami qui tient le pinceau. »
ll a eu raison, s’il n’a voulu parler que de ces femmes qui à tant d’autres faussetés ajoutent encore celle-là, & s’il a supposé des exceptions à cette règle générale.
Mais lorsqu’il ajoute, « Quand une femme aurait de vrais talents, ses prétentions les aviliraient », a-t-il la même exactitude ? On ne conçoit pas trop comment de vrais talents seraient avilis par la prétention de les avoir, quand on les a légitimement acquis par des études laborieuses. Les talents de Rosa-Alba ont-ils été avilis ? Son nom ne sera-t-il pas toujours précieux & célébré dans l’histoire des beaux arts ?

C’est que la vertu & l’honnêteté peuvent s’allier dans l’un comme dans l’autre sexe, quand la mauvaise éducation n’a pas vicié une bonne organisation. Les femmes, en général, seraient plus honnêtes, si nos coutumes, nos travers, nos exemples, ne les pervertissaient.
Mais qu’aurait dit le philosophe rigoureux, s’il avait vu madame Falconet, ma belle-fille, modeler un buste & en travailler le marbre, & que ce modele & ce marbre eussent été beaux ?
Il n’aurait pas désapprouvé les justes prétentions de cette artiste ; il eût mieux fait, il les eût encouragées.
Que sa ténacité à l’étude ne soit point énervée par un peu d’aisance que lui ont procurée ses travaux, que son courage & son amour du travail continuent encore quelque temps à mépriser la malignité basse qui persécute les talents, & je réponds à notre artiste d’une réputation distinguée, que de bons ouvrages lui ont déjà en partie méritée. Mais si elle éprouve un peu trop la tracassière perfidie des sociétés policées, je lui conseille de vivre tranquille à sa manière; elle aura raison comme l’avait [sic] M. Rousseau.

Propertia de Rossi, la première & la seule femme que nous sachions s’être aussi fait un nom dans la sculpture, était de Bologne, & vivait dans le seizième siècle. Elle fit, entre autres bons ouvrages, un bas-relief en marbre qui lui mérita l’éloge universel de ses concitoyens. Mais un certain « maître Amico », se mit en tête de chagriner l’artiste ; & à force de calomnier son talent, la noire envie parvint à ne lui faire donner qu’un prix fort vil de son ouvrage. Propertia fit encore deux figures en marbre, fut dégoûtée de la sculpture, s’occupa quelque temps à graver, & mourut de douleur.

Si vous rencontrez des maître Amico, vous devez, ou les éviter, ou les réduire au silence , ou bien vous résoudre à périr de leur venin. Consultez vos besoins, votre amour de la réputation, & celui de votre tranquillité ; c’est là votre boussole. »

Buste de Mary Cathcart, c. 1770 par Marie-Anne Collot, Musée des Beaux-Arts de Nancy

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