[Fiction] La Petite Voleuse ⎢Épisode 8

Le mouchoir brodé

Jeanne fut heureuse de voir sa tante qu’elle n’avait pas vu depuis la Saint-Martin, c’est à dire depuis qu’elle était entrée au service de la marquise.Il s’en était passé des choses au château et la fillette, désormais fort instruite, avait hâte de les raconter.
Mais devant la figure brune et triste de sa tante, elle préféra se taire et l’écouter. La chaleur, en ce mois de juillet 1736, était accablante et la pauvre femme semblait exténuée.

Jeanne Culard était veuve depuis un an et six mois. Son mari, Jean Mayence, « écarreur » (équarrisseur), était mort dans les bois de Cirey, écrasé par la chute d’un arbre. L’accident s’était produit lors du sciage d’un chêne que Jean devait dégrossir pour réaliser les poutres du nouveau logement de Voltaire. L’arbre à moitié scié avait changé soudainement de trajectoire et s’était effondré sur lui.
Le garde-chasse des bois de Cirey, François Boussin, dit la France, avait porté le pauvre homme jusqu’à sa maison où il était mort quelques jours plus tard dans d’atroces souffrances, entouré de sa femme enceinte et de ses cinq enfants.

Ce décès avait plongé la famille dans une grande misère que l’on percevait dans les habits usés de la Mayence. Elle portait, été comme hiver, un casaquin de couleur indéfinissable, un jupon de toile de coton à raies grises, des bas de laine gris et des sabots grossièrement taillés.
A 47 ans, la miséreuse accomplissait diverses petites tâches, porter des seaux d’eau, bêcher pour le château. Si cela rapportait très peu, la famille arrivait tout de même à survivre grâce aux deux aînés qui travaillaient également pour les châtelains.
La marquise du Châtelet pourvoyait la veuve et l’avait même exempté des redevances sur le ramassage du bois-mort et sur le pâturage (les gens de Cirey devaient donner aux seigneurs le jour de Noël deux poules pour le pâturage et un chapon vif et en plume pour le bois mort)

Jeanne Mayence était venue ce jour là jusqu’à la cour jaune du château pour annoncer à sa nièce la triste nouvelle du décès de sa cadette, Cirette, âgée de 14 mois.
Jeanne Foissy regarda sa tante avec une grande compassion. Très sensible à la mort de sa petite cousine, qu’elle avait pourtant à peine connu, elle fouilla dans les deux grandes poches attachées à la ceinture de son tablier d’Indienne et en sortit un grand mouchoir de batiste brodé qu’elle offrit à sa tante.
© PFDEBERT 2025

La suite ici :
Épisode 9 – La serinette
Épisode 10 – Le mouton chéri
Épisode 1 – La gardeuse d’oies
Épisode 2 – Les escargots
Épisode 3 – Le chaos
Épisode 4 – Un habit de servante
Épisode 5 – Le petit Champbonin
Épisode 6 – Le meilleur des châteaux possibles
Épisode 7 – Le meilleur des châteaux possibles
Épisode 8 – Le mouchoir brodé

Gravure, XVIIIe s.
Pyasanne, XVIIe s., J. Callot

BATISTE, s. f. (Comm.)​2​ toile de lin fine & blanche qui se fabrique en Flandre & en Picardie : on en distingue de trois sortes ; il y a la batiste claire, la moins claire, & la hollandée ; les deux premieres ont deux tiers, ou trois quarts & demi de large, & se mettent par pieces de six à sept aunes ; la hollandée porte deux tiers de large, & douze à quinze aunes de long. De quelque longueur que les ouvriers fassent les batistes claires, les courtiers les réduisent à douze aunes, & ces douze aunes en deux pieces de six. Les morceaux enlevés de ces pieces se nomment coupons, s’ils sont de deux aunes juste ; s’ils ont plus ou moins de deux aunes, on les bâtit, & on les vend comme la piece. Les batistes viennent des manufactures enveloppées dans des papiers bruns battus ; chaque paquet est d’une piece entiere, ou de deux demi-pieces : on en emplit des caisses de sapin, dont les ais sont assemblés avec des chevilles au lieu de clous, ce qui est très-commode ; car en cloüant les ais, on pourroit aisément percer les pieces. L’on fait avec cette toile des fichus, des mouchoirs, des surplis, &c.

Laisser un commentaire