Le baguier de Voltaire
Le jour de cette promenade exquise le long de la rivière, Jeanne crut passer dans un autre monde, il faut dire que celui de la marquise du Châtelet ne lui était, pas encore, entièrement familier.
Elle avait été très surprise de voir Florent, le fils des châtelains, traverser le petit pont à vive allure aux commandes d’un minuscule carrosse trainé par un mouton peint en rouge, et elle fut plus stupéfaite encore d’apercevoir, courant à la suite de ce singulier équipage, le précepteur de l’enfant, M. Linant, vêtu d’un habit de drap d’or.
Elle s’interrogea de nouveau longuement sur les différences entre ce monde dans lequel tout lui paraissait, fantaisie comprise, être à profusion, et celui de sa naissance où l’on manquait de tout.
Le château de Cirey comprenait 13 chambres de maîtres et autant de cabinets et de garde-robes, un boudoir, une salle de bains, une bibliothèque, une volière, un théâtre… , le tout orné de lambris dorés et de plafonds peints en vernis Martin, sans compter les 13 chambres de domestique, l’office et la cuisine.
Jeanne avait la chance de dormir au château dans une chambre donnant sur le vestibule du deuxième étage. Sa chambre comprenait un lit garni d’une housse bleue, une chaise pliante, une petite table en sapin sur laquelle elle avait disposé un magot (chinois) en porcelaine dodelinant de la tête, offert par la marquise qui en possédait une quantité prodigieuse, ainsi que les « Voyages du capitaine Lemuel Gulliver en divers pays éloignés », son livre préféré.
Jeanne était devenue indispensable à la marquise, laquelle lui confiait souvent, outre les billets doux destinés à son charmant invité, le soin de porter de l’argent aux uns et aux autres. « Elle seule avait la confiance et le secret de la dame du château » disaient les domestiques, un peu jaloux, lesquels avaient prévenu Madame que celle-ci « avait trop de bontés envers la Foissy ».
Ayant accès à toutes les pièces de la maison, la fillette allait souvent, en fin d’après midi, dans les appartements de M. Arouette de Voltaire pour y admirer le baguier de celui-ci, dans lequel les derniers rayons du soleil faisaient miroiter douze bagues aux couleurs chatoyantes.
Elle s’attardait souvent dans cette chambre depuis laquelle on pouvait apercevoir la rivière et la prairie et, bien souvent, c’est M. Arouette en personne qui devait l’en chasser, ce qu’il faisait en riant.
Mais en cette fin de journée estivale, ce fut sa tante, la Mayence, qui tambourina sur la fenêtre, pour la faire sortir dans la cour.
LapetitevoleuseEpisode 7 © PFourtierdebert2025
La suite ici :
Épisode 1 – La gardeuse d’oies
Épisode 2 – Les escargots
Épisode 3 – Le chaos
Épisode 4 – Un habit de servante
Épisode 5 – Le petit Champbonin
Épisode 6 – Le meilleur des châteaux possibles
Épisode 7 – Le meilleur des châteaux possibles



