La Petite Voleuse ⎢Épisode 11

L’orage
[d’après une histoire vraie]

Quelques jours plus tard, Jeanne profitait d’un petit temps de repos pour distribuer ses douze mouchoirs de dentelle achetés à la marchande de Bouzancourt (un mouchoir coûtait une livre, soit le prix du salaire d’un journalier) : un pour Fanfan, un pour Toinette, un pour la Riotte – elle aimait tant faire plaisir –, lorsqu’un grondement sourd roula dans le lointain.

La cloche du château sonna. Tous les domestiques furent appelés dans la cour jaune afin de mettre à l’abri, avant l’orage, vingt caisses de bois déposées le matin même devant la porte du pavillon de M. de Voltaire.

Il faisait une chaleur étouffante. Jeanne, présente elle-aussi dans la cour, fut chargée de prendre soin de Socrate, le chien de la marquise, parfois surnommé « Sot » parce qu’il n’était pas très fin.
Elle prit dans ses bras le petit animal tremblant de peur et se rendit dans les appartements de M. de Voltaire en passant par l’étrange porte entourée de coquillages.

La petite aile, construite tout récemment pour l’écrivain dans le prolongement du château, tenait si fort a une maison qu’elle possédait sa propre cuisine. Les décors y étaient semblables à ceux des appartements de la châtelaine. Les mêmes grands papiers “de la Chine” décoraient la galerie dont les boiseries étaient en vernis petit jaune. Partout des magots, des porcelaines et des sofas. Socrate y avait une niche, un coussin ou une écuelle dans chaque pièce.

Pour ne pas déranger la châtelaine et M. de Voltaire, lesquels, entourés de paille, déballaient frénétiquement les caisses, poussant des oh ! et des ah ! en découvrant des instruments scientifiques de toute beauté, Jeanne se rendit avec Socrate dans la chambre rouge et or qu’elle connaissait bien et dans laquelle le petit chien avait lui aussi ses habitudes.

Terrorisé par l’orage, Socrate se faufila dans sa niche tendue de cramoisi. Le ciel s’était assombri, des éclairs zébraient le ciel et la pluie tambourinait sur les vitres, quand une immense silhouette noire se découpa dans l’embrasure de la porte donnant sur l’antichambre. Jeanne hurla. Madame et M. Arouette accoururent.

Heureusement, ce n’était que le seigneur châtelain portant dans ses bras plusieurs rouleaux d’or qu’il désirait confier à M. de Voltaire. Les deux hommes se dirigèrent donc de concert vers la porte vitrée du petit cabinet à gauche de l’alcôve, et Jeanne les vit ouvrir le secrétaire à secret pour y cacher les louis d’or. Un petit secrétaire de palissandre que M. de Voltaire se dépêcha de refermer bien vite avec une clef ornée d’un ruban mauve.


© PFDebert 2025
La suite ici :
Épisode 1 – La gardeuse d’oies
Épisode 2 – Les escargots
Épisode 3 – Le chaos
Épisode 4 – Un habit de servante
Épisode 5 – Le petit Champbonin
Épisode 6 – Le meilleur des châteaux possibles
Épisode 7 – Le baguier de Voltaire
Épisode 8 – Le mouchoir brodé
Épisode 9 – La serinette
Épisode 10 – Le mouton chéri
Épisode 11 – L’orage

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