Le théâtre
Jeanne connaissait bien le petit théâtre sous les combles. Tout le monde le qualifiait de « minuscule », mais la fillette le trouvait déjà très bien, disons qu’elle n’en avait jamais vu d’autres.
Elle s’installa sur l’une des banquettes rouges au premier rang juste en face de la scène, les douze valets et domestiques, réquisitionnés pour l’occasion, prenant place autour d’elle.
D’habitude, lors des nombreuses représentations données au château, Jeanne attendait dans une pièce attenante au théâtre. Cette pièce, appelée la « chambre au-dessus de la chambre aux papiers », était reliée à celle de Madame par une escalier secret. Cela permettait à la châtelaine de se vêtir et de se maquiller dans ses appartements afin d’apparaître dans toute sa magnificence et comme par magie par une petite porte dérobée.
Lorsque les spectateurs furent au complet, un valet moucha les nombreuses chandelles, et la salle plongea dans l’obscurité. Trois coups secs retentirent.
Apparurent alors sur la scène Mme la marquise et Mme de Champbonin. La fillette du se contenir pour ne pas rire tant leurs déguisements étaient extravagants. Les deux femmes étaient fagotées comme « Marie chiffon », recouvertes ou plus exactement « saucissonnées » de plusieurs couches de tissus d’indiennes. Et pour couronner le tout, Madame arborait, au sommet de sa savante coiffure, une plume d’autruche.
Mme de Champbonin se mit alors à déclamer :
« Je ne m’attendais pas, jeune et belle Zaïre,
Aux nouveaux sentiments que ce lieu vous inspire.
Quel espoir si flatteur, ou quels heureux destins
De vos jours ténébreux ont fait des jours sereins ? »
Ce que Jeanne compris de l’histoire, c’est que Zaïre était visiblement très amoureuse d’un homme appelé Oresmane, et cet homme était interprété par M. Arouette de Voltaire, vêtu d’un costume fantaisiste dont le chapeau pointu était surmonté de deux plumes d’autruche. Le pauvre ne savait absolument pas son texte et bafouillait à qui mieux mieux, donnant la réplique à M. du Châtelet, qui jouait le frère de Zaïre, Nerestan. M. Arouette s’énervait, accusant le souffleur, M. Linant, de ne pas lui donner les bonnes répliques. À un moment, il lui cracha même dessus.
La pièce était très longue, plusieurs domestiques s’endormirent, mais tous les spectateurs furent réveillés en sursaut par le cri de Madame : « Je me meurs, ô mon Dieu ! »
Ils virent alors la marquise s’effondrer dans les coulisses dans un gémissement, et cette vison les terrifia.
© PFDebert 2025
La suite ici :
Épisode 1 – La gardeuse d’oies
Épisode 2 – Les escargots
Épisode 3 – Le chaos
Épisode 4 – Un habit de servante
Épisode 5 – Le petit Champbonin
Épisode 6 – Le meilleur des châteaux possibles
Épisode 7 – Le baguier de Voltaire
Épisode 8 – Le mouchoir brodé
Épisode 9 – La serinette
Épisode 10 – Le mouton chéri
Épisode 11 – L’orage
